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La cause animale

Texte écrit à l’occasion de la 3eme édition dela « Journée Avenir Animal » nov 2021




On pourrait croire que c’est une mode, comme pour Metoo. Certains, certaines parmi vous croient même sûrement qu’il s’agit d’une cause qu’on choisit de défendre quand on a pas d’autres soucis, quand on est un, une privilégiée de l’espèce dite Bobo, de ceux et celles qui s‘associent aux causes philanthropiques pour se détendre ou se donner bonne conscience. On pourrait croire…Pourtant, sur ce sujet comme sur d’autres, notre époque se révèle pleine de surprises.


S’interroger sur la cause animale, c’est d’abord s’interroger sur nous-même, qui sommes, rappelons-le, d’autres animaux, parmi les mammifères : en quoi sommes-nous humain quand on ne se préoccupe ni des animaux, ni de ce nous mangeons, ni des lieux où nous vivons ensemble, eux et nous ?


Contrairement aux idées reçues, ces questionnements remuent les entrailles des philosophes depuis l’antiquité : de Pythagore à Derrida, en passant par Montaigne et Descartes, nous oublions volontiers que ces problématiques sur les traitements réservés aux animaux ont forgé nos conceptions de l’humain. Pour certains, dont Plutarque, Montaigne et Rousseau, le principe d’égalité de nature, puisque nous sommes aussi des animaux, doit correspondre au principe d’égalité de statut et on se doit de respecter leur sensibilité et de refuser la violence des traitements qu’ils subissent.

Pour d’autres, Descartes en tête, l’animal n’est qu’une machine, la bête est une chose utile et comme telle, il est logique que le capitalisme produise de l’animal.

Les religions aussi ont attribué aux animaux, les autres résidents de la planète, des places qui nous définissent : pour les religions monothéistes, qui placent l’homme au-dessus de toutes les autres espèces, la domination est actée par volonté divine, justifiant tous les débordements. Dans les religions et spiritualités asiatiques pour lesquelles l’homme est une particule de l’univers, au même titre que le moustique ou la vache, le principe de non-violence est plus souvent respecté.

Aujourd’hui, quelques soient nos sensibilités, il ne s’agit pas de choisir son camp, de préférer sa culture ou sa religion à une autre mais plutôt de regarder le vivant en face !


Le philosophe Jacques Derrida, dans l’ouvrage intitulé L’animal que donc je suis, publié en 2016, dénonce l’humanisme brutal qui instaure des droits aux seuls humains, au prétexte de la prétendue possession du monde par l’homme. Or, de fait, nous sommes de moins en moins fiers de ce que nous avons fait de cette suprématie. Le sacro-saint concept de progrès qui a longtemps légitimé tous les choix de nos sociétés occidentales a fait long feu.

Rien ne légitime plus la cruauté subie par 3,2 millions d’animaux d’élevage chaque jour en France* ni le génocide des espèces en voie de disparition du fait de l’exploitation de leur territoire par l’homme.


De même que Derrida, je n’essayerais pas de vous convaincre en décrivant « les terrifiants et insoutenables tableaux (…) de la violence industrielle, mécanique, chimique, hormonale, génétique à laquelle l’homme soumet depuis 2 siècles la vie animale.» Vous les avez tous certainement en tête.

Et c’est bien de déni qu’il nous faut parler puisque chacun, chacune, aujourd’hui ne peut plus ignorer que l’animal est d’abord un être vivant, sensible et doté de conscience. La loi Gramont, en 1850, punit déjà la maltraitance des animaux domestiques. Le 16 février 2015, les animaux entrent dans le code civil. La loi les reconnaît dotés de sensibilité sinon de conscience. Et c’est une avancée capitale. Mais ils demeurent soumis au régime des biens, qui continue à autoriser toutes les exploitations et toutes les exactions.

Et c’est seulement parce que nous ne voulons pas y penser que perdure le « paradoxe du carnivore qui veut manger de la viande mais qui ne supporte pas la bête morte. », comme le souligne Madeleine Ferrières, spécialiste de l’histoire de l’alimentation. En 2 siècles, notre rapport à l’animal est passé d’une vision intégratrice, dans laquelle ils étaient individualisés, perçus comme des êtres vivants qui nous rendaient service tout au long de leur vie en fournissant le lait, la viande, la laine, la traction à une vision prédatrice dans laquelle il n’est plus que matière première.

Autrefois nous mangions des animaux, que nous avions vu vivants, que nous avions conscience de tuer.

Aujourd’hui, nous mangeons de la viande, en délégant aux grandes entreprises le sale boulot des abattoirs où ceux qui tuent doivent anesthésier leur sens moral pour pouvoir continuer.

L’éthique dont notre espèce se prévaut est bien au centre de ces préoccupations. De quelle dignité se prévaloir quand on continue à soutenir le massacre institutionnalisé ? De quelle dignité se flatter quand on la refuse à un être pourtant doué de conscience ? De quelle dignité s’enorgueillir tant qu’on dévaste impunément les espaces de toutes les autres espèces ?

Et si nous souffrons de leurs souffrances, si la pitié et la compassion que nous ressentons sont bien réelles, c’est parce qu’elles nous éveillent à nos responsabilités à l’égard du vivant en général.



Ils sont étonnants les mécanismes du déni à l’œuvre dans notre conception morale. Quand la cruauté nous gêne, on l’occulte. Et l’animal, comme la femme dans un autre débat, devient « le référent absent », selon les mots de Carol J. Adams dans La Politique sexuelle de la viande, publié en 2016. Occulté en tant qu’être vivant ne désirant pas mourir, l’animal devient de la chair, le plus souvent renommé steak, rosbif, viande hachée… On préfère ne pas savoir ce qu’il en est et continuer à consommer innocemment, tout bêtement ce qu’on a l’habitude de manger. « C’est comme ça qu’on fait, c’est ce qu’on a toujours fait », dit-on.

Pour l’auteure, la viande est un symbole de virilité triomphante. « La chair, dit-elle, est vue comme un aliment puissant et irremplaçable. Le message est clair : l’humble légume devrait se contenter de la place qui lui a été assignée et ne pas tenter de mettre fin aux règnes de la chair. » Les courges n’ont qu’à bien se tenir ! Or, le déni commence à peser lourd sur nos estomacs pleins.


Car la question dépasse largement les choix alimentaires de chacun et s’insère dans un mouvement plus large de contestation.


La question de la maltraitance animale donne un coup de projecteur sur un modèle de développement agricole injuste et insoutenable pour l’environnement. En raison du coût environnemental de l’alimentation carnée, les éthiques écologiques et animales convergent de fait vers un même objectif : la prise en compte du vivant.

La défense de la cause animale apparaît aujourd’hui comme un volet essentiel de la transition environnementale. C’est un argument supplémentaire pour restructurer l’économie en faveur des êtres vivants et non plus des groupes privés qui détruisent le bien commun. Si on remet en cause l’anthropocentrisme élitiste et discriminant à la source de notre modèle actuel, on pose alors la question de notre responsabilité d’être conscient à l’égard des autres espèces.

Et on passe du même coup, des rapports de domination aux relations d’interdépendance, peut-être plus justes pour tous.


Soulever le débat sur la cause animale, c’est interroger l’humain, qui pour les mêmes besoins vitaux demeure lié à la même planète. Notre époque quoiqu’on en dise, fait face à un enjeu de civilisation :

Nos modèles d’exploitation indignes et nuisibles sont dépassés. Et les mentalités évoluent, les habitudes changent, mais lentement, très lentement. On en parle, ici et là mais dans les faits, autant pour les animaux sauvages que domestiques, les conditions ne s’améliorent pas. Et notre mauvaise conscience s’accroît, dans les mêmes processus de déni que pour l’environnement, le sexisme, le racisme...

Mais, de fait, les luttes convergent et la cause animale s’intègre avec évidence à une politique globale plus respectueuse du vivant dans ses interdépendances.


* Source : Association L214







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